SF

L’odyssée des étoiles, Kim Bo-young

« Je suis là. Je t’attends. » Si je n’avais pas eu cette pensée à laquelle me raccrocher, j’aurais perdu tout contrôle. Tu m’as sauvé. Quel que soit l’endroit où tu te trouves, que tu sois morte ou bien vivante et voyageant dans l’infini des étoiles. (page 59)

Voilà un événement pour l’imaginaire : la première publication d’un•e auteurice de SF sud-coréen•e en France ! Kim Bo-young est une autrice reconnue depuis sa première publication en 2004, et a remporté plusieurs fois le South Korean SF novel award pour ses écrits. En parallèle de cette activité, elle est également éditrice, jurée et a travaillé comme consultante avec le grand réalisateur Bong Joon-ho sur sa fantastique adaptation de la BD Le Transperceneige (un film à voir absolument !). J’ai eu la chance de recevoir le livre grâce à la dernière Masse Critique Babelio juste avant la venue de Kim Bo-young aux Utopiales de Nantes, qui a très aimablement dédicacé mon exemplaire. Merci beaucoup à Babelio et aux éditions Payot-Rivages pour l’envoi !

Avant toute chose, il est important de savoir que ce livre n’est pas un roman, mais une compilation de trois novellas liées chronologiquement entre elles.
Dans « Je t’attends », on suit les messages envoyés par un homme vivant sur Terre à sa fiancée, qui entreprend un voyage interstellaire depuis la très lointaine Alpha du Centaure pour le rejoindre pour le mariage. En temps terrestre, il va se passer plusieurs années avant que les deux fiancés soient réunis. Aussi, le futur époux décide, comme c’est l’usage dans ce cas, d’embarquer dans un vaisseau de l’Attente et de voyager à une vitesse élevée afin de ne pas subir le décalage temporel qui aurait été le sien s’il était resté sur Terre. Mais les aléas vont s’enchaîner les uns après les autres, retardant d’autant plus la réunion des deux fiancés… Dans « Je viens vers toi », le principe est le même, mais du point de vue de la femme cette fois, qui n’a pas non plus vécu un périple facile. Et dans la troisième partie, on reste dans la même thématique, mais en suivant les tribulations d’un voyageur temporel cherchant à atteindre la fin de l’univers.

J’ai suivi avec beaucoup d’émotions, dans le premier récit, le périple temporel sans fin que vit cet homme qui désespère de retrouver un jour sa fiancée. Chaque chapitre retranscrit un des messages envoyés par le très infortuné amoureux à l’élue de son cœur, en précisant combien de temps après le début du voyage il a été émis, en temps effectif et en temps terrestre. Ce double-repère temporel est nécessaire pour bien comprendre l’ampleur du désespoir de l’auteur des messages, qui voit l’écart d’âge se creuser inexorablement entre lui et son aimée, jusqu’à un potentiel point de non-retour : mariage annulé après plusieurs années d’attente, début d’une nouvelle relation amoureuse après une telle trahison, voire fin de vie tout simplement. Et à chaque retour sur Terre, le voyageur solitaire est percuté de plein fouet par le poids des années qui se sont écoulées, avec un impact extrême sur le paysage et le climat, conséquences de diverses guerres et de plusieurs cataclysmes. J’ai été vraiment touché par l’espoir fou qui guide cet homme durant toute son odyssée, et qui se matérialise poétiquement dans des rêves évoquant des souvenirs heureux avec l’être aimé pour l’aider à surmonter les pires épreuves.

Après une conclusion très émouvante et révélatrice, la seconde nouvelle s’ouvre là où la première avait commencé : au début du voyage, mais cette fois à des années-lumière de la Terre ! Le récit du voyage de la fiancée est construit exactement de la même manière que celui de son futur époux, en un intelligent jeu de miroirs. En me référant aux indications temporelles des messages, je me suis rendu compte que les deux âmes-sœurs se sont en fait croisées de peu sans le savoir, et à plusieurs reprises… Si la première histoire insistait sur la solitude du voyageur, ici l’héroïne est au contraire confrontée aux règles absurdes d’une société de classes établie à l’intérieur du vaisseau dans lequel elle se retrouve contrainte de séjourner pendant plusieurs années. Et de nouveau, malgré toute l’horreur de ce qui devient son quotidien, perdant même toute notion du temps, cette femme se raccroche à l’espoir d’être à nouveau réunie avec celui qu’elle aime, peu importe la durée de leur séparation. Même si j’ai trouvé pas mal de redondances de style avec la première novella ainsi qu’entre les différents chapitres, j’ai bien apprécié de découvrir cet autre point de vue, abordé avec une sensibilité différente et expliquant certaines zones d’ombre du récit de l’homme.

L’ouvrage se termine avec la troisième novella, qui tranche nettement avec les deux précédentes. Plus de récit épistolaire à la première personne, mais de la narration classique, mettant en scène un jeune homme voyageant toujours plus loin vers le futur pour atteindre le bout de l’univers. Au cours de son périple, le voyageur va rencontrer des personnages assez fantaisistes : une cartographe légendaire vivant en ermite sur un satellite isolé, un autre voyageur qui se fait passer pour un dieu auprès d’une peuplade primitive, ou encore deux scientifiques perdus dans l’espace à bord d’un immense vaisseau vide… On se retrouve ici dans de la SF plus classique, un peu old-school, et même si on reste dans la thématique du voyage interstellaire et des conséquences d’une accélération proche de la vitesse de la lumière sur le passage du temps, cette histoire n’a pas beaucoup de rapport avec les deux précédentes (ne lisez pas le résumé en quatrième de couverture du livre pour ne pas vous spoiler !). Les concepts scientifiques sont ici plus présents, on voit que l’autrice maîtrise bien le sujet et l’explique avec des images simples tout en amenant des éléments de réflexion intéressants. Cependant, malgré une fin mystique et surréaliste qui m’a bien retourné le cerveau, j’ai moins accroché à cette dernière partie du recueil. En effet, je n’ai pas vraiment éprouvé d’empathie pour ce voyageur dont on ignore à peu près tout, et dont la conscience se situe depuis longtemps sur un tout autre plan, contrairement aux deux précédents protagonistes qui étaient profondément humains.

J’ai bien apprécié ma lecture, mais pas autant que je l’aurais souhaité. J’ai aimé les deux premiers récits, construits en miroir et très émouvants, mais j’ai trouvé que certains chapitres avaient un côté un peu répétitif. Étant donné que la troisième novella fait écho de manière lointaine aux deux précédents, je comprends pourquoi il a été inclus dans cet ouvrage. Néanmoins, j’ai trouvé dommage que la poésie et la mélancolie dans lesquelles baignaient les deux premières histoires soient ici mises au second plan, au profit d’une narration conventionnelle et plus distante avec les émotions de son protagoniste qui demeure difficile à cerner. J’ai été content de retrouver une vision plus personnelle et onirique dans le tout dernier chapitre de cette histoire, et j’ai refermé le livre avec l’impression de revenir littéralement d’un autre univers… Je serais donc curieux de lire les autres écrits de cette autrice, et d’avoir l’occasion de découvrir plus en détails la SF coréenne !

Bonus :

Durant ma lecture, j’ai énormément pensé au magnifique et poignant court-métrage d’animation japonaise Hoshi no koe – The Voices of a distant star de Makoto Shinkai (2002), dans lequel un couple de lycéens communique par mail sur leur téléphone. Le garçon est sur Terre, et la fille est en mission à bord d’un vaisseau spatial qui va s’éloigner de plus en plus…


L’odyssée des étoiles, de Kim Bo-young
Éditions Payot-Rivages
22,00 €
Sortie française le 4 octobre 2023

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